L’humanité est entrée dans une nouvelle réalité climatique. Un rapport majeur, publié ce 13 octobre par l’Université d’Exeter et un consortium international de chercheurs, affirme que la Terre vient officiellement de franchir le premier des grands seuils critiques identifiés par les scientifiques : celui du système des récifs coralliens tropicaux.
Cette alerte, issue du deuxième rapport Global Tipping Points, tombe alors que les négociations climatiques se préparent en vue de la COP30, prévue en 2025 au Brésil. Le constat est glaçant : les récifs coralliens d’eaux chaudes sont déjà en phase de basculement irréversible. Leur disparition à grande échelle est désormais en cours, menaçant directement près d’un milliard d’êtres humains et un quart des espèces marines.
Et ce n’est qu’un début.
Des points de bascule multiples en approche
Derrière les coraux, d’autres systèmes planétaires clés sont sur le point de basculer, préviennent les scientifiques :
- La fonte accélérée des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique,
- Le ralentissement voire l’effondrement de la circulation océanique,
- Et le dépérissement massif de la forêt amazonienne, où se tiendra justement la COP30.
Le rapport, produit par 160 experts issus de 87 institutions réparties dans 23 pays, insiste : chaque fraction de degré au-dessus de 1,5°C multiplie les risques. L’objectif de limiter le réchauffement à ce seuil devient d’autant plus crucial que les conséquences d’un dépassement durable pourraient être irréversibles.
Des gouvernements trop lents face à l’urgence
« Nous approchons dangereusement de plusieurs points de bascule climatiques qui pourraient transformer notre planète de manière irréversible », alerte le Pr Tim Lenton, directeur du Global Systems Institute de l’Université d’Exeter.
Selon lui, les politiques actuelles sont inadaptées à la nature brutale et interconnectée de ces changements. Les décisions ne sont ni assez rapides ni assez radicales pour éviter ces ruptures écologiques en chaîne.
Depuis le premier rapport sur les points de bascule en 2021, quelques signaux positifs sont apparus — comme la montée en puissance des énergies solaires et de la mobilité électrique. Mais ils restent largement insuffisants sans une transformation globale et coordonnée des politiques climatiques.
Les coraux : premier effondrement en cours
Selon le rapport, les récifs coralliens tropicaux sont déjà en train de disparaître, emportés par des épisodes de blanchissement de masse de plus en plus fréquents. À 1,4°C de réchauffement actuel, ils ont dépassé leur seuil de tolérance thermique (estimé entre 1 et 1,5°C, avec une estimation centrale à 1,2°C).
Même une stabilisation à +1,5°C condamnerait plus de 99 % des récifs coralliens tropicaux. Seules de petites zones refuges, isolées, pourraient survivre — à condition d’une protection active contre la surpêche, la pollution et autres pressions humaines.
Sans retour rapide à un climat plus frais (proche de +1°C), les récifs, en tant qu’écosystèmes structurants, seront perdus.
Amazonie, courants océaniques : d’autres catastrophes en attente
Le basculement de la forêt amazonienne est lui aussi plus proche qu’on ne le croyait. Selon le rapport, la combinaison du changement climatique et de la déforestation pourrait déclencher son dépérissement à partir de +1,5°C — bien plus tôt que les seuils estimés auparavant.
Plus de 100 millions de personnes dépendent directement de l’Amazonie. Mais tout n’est pas perdu : des tipping points sociaux positifs pourraient renforcer sa résilience, comme la reconnaissance des savoirs autochtones, la gouvernance locale inclusive, ou des investissements ciblés en restauration.
Autre alerte : le système de circulation océanique Atlantique (AMOC), crucial pour le climat de l’Europe et l’Afrique, pourrait s’effondrer avant +2°C de réchauffement. Cela entraînerait :
- Des hivers bien plus rudes en Europe du Nord-Ouest,
- Des perturbations des moussons en Afrique et en Inde,
- Et une chute de rendements agricoles dans plusieurs régions du monde.
Un scénario noir pour la sécurité alimentaire mondiale.
Une lueur d’espoir : enclencher les bascules positives
Mais tout n’est pas encore joué. Les chercheurs soulignent qu’il existe des points de bascule positifs : des dynamiques d’accélération vertueuses, capables d’inverser la tendance.
C’est déjà le cas pour :
- L’essor mondial du solaire photovoltaïque et de l’éolien,
- L’adoption rapide des véhicules électriques,
- Le développement du stockage d’énergie et des pompes à chaleur.
Ces technologies, une fois massivement adoptées, ne reviennent pas en arrière : elles deviennent plus abordables, plus fiables, et chassent les anciennes solutions polluantes. Les attitudes sociales évoluent elles aussi, avec une prise de conscience climatique en forte hausse dans le monde.
« Les points de bascule positifs peuvent déclencher des cascades de transformation dans les secteurs clés : énergie, agriculture, transports, forêts, villes… », affirme le rapport.
Brésil, COP30 : vers une mobilisation collective
Le gouvernement brésilien, hôte de la COP30, travaille en lien étroit avec les auteurs du rapport pour intégrer ces notions dans l’agenda officiel des négociations. L’ambassadeur André Corrêa do Lago, président désigné de la COP, salue ce travail :
« Le rapport répond à notre appel à combiner science moderne et sagesse ancestrale pour transformer nos institutions et accélérer la transition climatique mondiale. »
Un programme baptisé “Global Mutirão” (signifiant “effort collectif”) a été lancé pour rassembler scientifiques, communautés locales, entreprises et citoyens autour de solutions concrètes, adaptables et à fort potentiel de changement.
Agir vite, agir juste
« Les points de bascule sont différents des autres défis environnementaux. Ils imposent des changements de gouvernance radicaux, des réponses plus agiles et des actions frontales », explique la Dr Manjana Milkoreit, de l’Université d’Oslo.
Cela signifie :
- Réduire immédiatement les émissions de gaz à effet de serre,
- Accélérer le développement des solutions d’élimination du CO₂,
- Intégrer les risques de bascule dans les politiques d’adaptation, les systèmes d’assurance, et même les mécanismes juridiques de protection des droits humains.
Et surtout, éviter les divisions politiques : le succès de la transition dépendra aussi de la capacité à proposer un futur juste, désirable et non polarisant.
Ce qu’il faut retenir
- Les récifs coralliens tropicaux sont déjà en train de disparaître : premier point de bascule franchi.
- D’autres seuils sont proches : Amazonie, calottes glaciaires, courants océaniques.
- Chaque dixième de degré supplémentaire accroît les risques irréversibles.
- Les politiques actuelles sont insuffisantes face à la brutalité des changements en cours.
- Il est encore possible de basculer dans le bon sens grâce aux technologies vertes, à la coopération internationale et à l’innovation sociale.
La dernière chance d’inverser le cours de l’histoire ?
« Le monde peut encore éviter le pire », conclut le professeur Lenton.
« Mais il faudra un sursaut politique, économique et citoyen à la hauteur du danger que nous affrontons. »
Ce rapport n’est pas seulement un signal d’alarme. C’est aussi une boussole : celle d’un monde qui vacille, mais qui peut encore choisir la voie du sursaut plutôt que celle du désastre.



