La fermentation de précision pourrait révolutionner notre alimentation. Elle offre des alternatives sans animaux aux produits laitiers, œufs et viandes tout en réduisant drastiquement l’impact environnemental. Explications.
Une technologie connue, appliquée à de nouveaux enjeux
La fermentation est utilisée depuis des millénaires pour transformer les aliments. La fermentation de précision en est une version moderne : elle permet de programmer des micro-organismes (comme des levures) pour produire des molécules spécifiques – protéines, enzymes, graisses – avec une grande efficacité.
Ce processus, déjà utilisé depuis des décennies pour fabriquer de la présure (utilisée dans le fromage), de l’acide citrique ou du collagène, connaît aujourd’hui un nouvel essor pour créer des ingrédients imitant les produits d’origine animale : goût de la viande, texture du fromage, propriétés liantes des œufs, etc.
Pourquoi en a-t-on besoin ?
La demande mondiale en protéines devrait doubler d’ici 2050, alors que le dérèglement climatique, les crises alimentaires et la dégradation des terres imposent de réduire notre dépendance à l’élevage intensif.
La fermentation de précision permet de produire les aliments que nous connaissons et aimons, avec une empreinte écologique bien moindre. Un exemple : la start-up française Verley a montré que ses protéines laitières fermentées émettent 72 % de CO₂ en moins, consomment 81 % d’eau en moins et utilisent 99 % de surface agricole en moins que le lait de vache.
Cette efficacité permettrait aussi de libérer jusqu’à 21 % des terres agricoles européennes, qui pourraient être utilisées pour produire davantage d’aliments localement.
Des retombées économiques majeures
L’intégration des protéines issues de la fermentation dans notre alimentation pourrait également représenter une opportunité économique considérable. Une étude soutenue par le gouvernement britannique estime que les protéines alternatives (viandes cultivées, aliments végétaux, fermentation) pourraient ajouter plus de 900 milliards d’euros à l’économie mondiale et créer 10 millions d’emplois d’ici 2050.
Une recherche en pleine accélération en Europe
L’Europe est particulièrement bien placée dans ce domaine. Le nombre d’études scientifiques européennes sur la fermentation de précision a augmenté de 168 % entre 2020 et 2024. Plusieurs centres de recherche spécialisés ont récemment ouvert :
- Microbial Foods Hub (Royaume-Uni)
- Biotech Heights (Suède), en partenariat avec TetraPak et l’université de Lund
- Fermentation Factory aux Pays-Bas, soutenu par l’institut laitier NIZO
Les startups aussi progressent rapidement. La société Onego Bio (Finlande) produit désormais 120 g de blanc d’œuf par litre de cuve, soit 50 % de plus que les rendements antérieurs pour les micro-organismes utilisés.
Des chercheurs néerlandais développent quant à eux des micelles (protéines structurantes du fromage) pour recréer le Gouda, pendant qu’un autre laboratoire finlandais reproduit des lipides identiques aux graisses de bœuf, un élément clé pour améliorer les viandes végétales.
Des gouvernements de plus en plus engagés
Les gouvernements européens reconnaissent désormais le potentiel stratégique de ces technologies. Les financements publics pour la fermentation ont augmenté de 77 % en un an, atteignant plus de 100 millions d’euros en 2024.
La Stratégie européenne pour les sciences de la vie souligne le potentiel de la fermentation avancée pour produire des ingrédients durables à partir de matières premières renouvelables. Elle appelle à :
- Soutenir le passage à l’échelle industrielle
- Créer des partenariats public-privé
- Organiser une conférence annuelle dédiée
- Augmenter les fonds alloués via le programme Horizon Europe
Les consommateurs sont prêts
Si aucun produit issu de la fermentation de précision n’est encore vendu en Europe, plusieurs demandes d’autorisation sont à l’étude au Royaume-Uni et dans l’Union européenne.
Une étude menée par le Good Food Institute et Accenture montre que près de la moitié des consommateurs en France, Allemagne, Espagne et Royaume-Uni sont ouverts à tester ces nouveaux produits (œufs, lait…).
Le Food Standards Agency britannique a d’ailleurs lancé un programme de recherche d’un an, doté de 1,6 million d’euros, pour préparer les régulateurs à cette nouvelle catégorie d’aliments.
Un frein majeur : le manque d’infrastructures
Malgré ces avancées, le passage à l’échelle reste un défi de taille. L’Europe manque d’installations industrielles de fermentation capables de produire en grande quantité à faible coût.
Si elle veut devenir leader mondial de la fermentation alimentaire, l’Europe devra investir massivement dans :
- Des infrastructures de production
- Le soutien aux startups
- La réglementation claire et proactive
Cela permettra non seulement de rendre ces produits accessibles à tous, mais aussi de valoriser les résultats de la recherche publique et d’accélérer la transition vers un système alimentaire plus durable.



