Des chercheurs de l’Université d’Arizona remettent en cause le scénario catastrophe d’une extinction massive en cours : selon leurs données, les disparitions d’espèces auraient en réalité atteint leur pic… il y a plus d’un siècle.
Depuis des années, un même constat revient comme un mantra inquiétant : la Terre vivrait sa sixième extinction de masse, une crise écologique comparable à celle qui a anéanti les dinosaures. Les rapports alarmistes s’accumulent, affirmant que les espèces disparaissent aujourd’hui à une vitesse jamais vue.
Mais une équipe de biologistes américains vient de jeter un pavé dans la mare.
Leur étude, publiée dans la prestigieuse revue Proceedings of the Royal Society of London, montre que le rythme des extinctions n’a pas explosé ces dernières décennies. Au contraire, il aurait atteint un sommet il y a environ 100 ans avant de reculer progressivement depuis. Une découverte qui invite à revoir entièrement le récit dominant.
Une relecture complète de l’histoire des extinctions
Menée par Kristen Saban et John Wiens du département d’écologie et de biologie évolutive de l’Université d’Arizona, cette recherche est la première à analyser conjointement les taux et les causes d’extinction sur un vaste échantillon du vivant : près de 2 millions d’espèces étudiées, dont 912 ayant disparu au cours des 500 dernières années.
Le résultat est sans appel :
« Les extinctions les plus intenses ont eu lieu il y a environ un siècle, et non aujourd’hui », explique le Pr Wiens.
« Cela ne veut pas dire que tout va bien, mais que les causes et les dynamiques ont profondément changé. »
Pendant des siècles, les pertes de biodiversité étaient surtout liées aux espèces invasives sur les îles – rats, chèvres, porcs ou serpents introduits par l’homme, qui ont décimé la faune locale. Aujourd’hui, la principale menace vient de la destruction des habitats sur les continents : déforestation, urbanisation, agriculture intensive.
De nouvelles données contre les projections simplistes
Beaucoup d’études sur la « sixième extinction » reposaient sur un postulat simple : extrapoler les pertes observées depuis 500 ans pour prédire l’avenir. Or, selon Wiens et Saban, cette méthode ne tient pas compte du fait que les causes d’extinction ne sont pas les mêmes à travers le temps.
« Les modèles actuels appliquent des schémas anciens à une réalité nouvelle », précise Saban, désormais doctorante à Harvard.
« Mais les moteurs de disparition ont radicalement changé : autrefois les invasions biologiques, aujourd’hui la perte d’habitat et, demain, probablement le climat. »
Leur analyse démontre ainsi que les extinctions passées sont de très mauvais indicateurs des risques présents, tant les contextes écologiques ont évolué.
Les espèces les plus touchées : mollusques, poissons et amphibiens
L’étude montre aussi que toutes les familles ne sont pas logées à la même enseigne. Les mollusques (escargots, moules), ainsi que de nombreux vertébrés terrestres et aquatiques, figurent parmi les plus durement touchés.
Chez les amphibiens, certaines familles – comme les rainettes planantes d’Inde (Rhacophorus malabaricus) – ont perdu plus d’espèces que n’importe quel autre groupe.
Sur les continents, les disparitions se concentrent dans les milieux d’eau douce, très fragiles. Et contrairement à ce que l’on pourrait penser, le changement climatique n’a pas encore provoqué de vague d’extinctions documentée sur les deux derniers siècles.
« Cela ne signifie pas que le climat n’est pas une menace », insiste Wiens.
« Mais simplement que les données passées ne reflètent pas les dangers à venir. »
Des menaces qui changent de visage
En s’appuyant sur les évaluations de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) couvrant 163 000 espèces, les chercheurs ont constaté un décalage frappant entre les extinctions déjà survenues et les menaces actuelles.
Les espèces disparues dans le passé étaient majoritairement insulaires, éliminées par des espèces invasives. Celles qui sont aujourd’hui menacées sont surtout continentales, et luttent contre la perte d’habitat.
Autrement dit, la géographie de la crise écologique s’est déplacée.
Moins d’extinctions… grâce aux efforts humains ?
La conclusion la plus surprenante du rapport est peut-être aussi la plus encourageante : les taux d’extinction ont reculé pour plusieurs groupes majeurs (plantes, arthropodes, vertébrés terrestres) depuis le début du XXe siècle.
Pourquoi ? En partie grâce à la mobilisation mondiale pour la conservation.
« Les actions de protection fonctionnent », affirme Wiens.
« Nous avons désormais des preuves concrètes que l’investissement dans la conservation permet d’éviter de nouvelles extinctions. »
Réserves naturelles, programmes de réintroduction, politiques environnementales : autant d’initiatives qui commencent à porter leurs fruits, même si le combat reste loin d’être gagné.
Un message d’espoir… mais sans relâchement
Pour Kristen Saban, il est essentiel de ne pas mal interpréter ces résultats.
« Ce n’est pas un blanc-seing pour continuer comme si de rien n’était », avertit-elle.
« La perte de biodiversité reste un problème immense. Mais il faut la décrire avec rigueur et précision, pas avec des comparaisons apocalyptiques. »
En d’autres termes, il ne s’agit pas de nier la crise écologique, mais de mieux comprendre ses mécanismes réels pour agir efficacement.
Vers une approche plus lucide de la biodiversité
La chercheuse conclut avec une note d’optimisme mesuré :
« Si l’on dit aux gens que c’est comme si un astéroïde s’écrasait sur Terre, cela les paralyse. Nous voulons redonner une vision plus nuancée, fondée sur les données, pour mieux protéger le vivant. »
La bonne nouvelle ? L’humanité n’est peut-être pas condamnée à assister, impuissante, à une extinction massive.
La mauvaise ? Elle doit maintenant prouver qu’elle est capable d’apprendre des erreurs du passé — sans se laisser aveugler par les récits de fin du monde.
En résumé
- Le pic d’extinction des espèces a eu lieu au début du XXe siècle, pas aujourd’hui.
- Les espèces invasives ont joué un rôle majeur dans les extinctions passées, les destructions d’habitats dominent désormais.
- Le changement climatique n’a pas encore causé d’extinctions documentées à grande échelle, mais représente une menace croissante.
- Les efforts de conservation montrent une efficacité mesurable.
- Le discours de la « sixième extinction » mérite donc d’être recalibré, pas abandonné.



